Fracasse et Cyrano


Le théâtre et l'épée






Fracasse, le bretteur comédien

C’est le théâtre que Théophile Gautier a placé au centre de son roman comme l’avait fait Scarron deux siècles plus tôt dans le Roman comique. Là aussi, il était question d’une troupe de comédiens et de l’enlèvement de la belle héroïne. Le roman comique était une parodie du roman héroïque et Gautier a parodié à son tour Scarron qu’il considérait, avec beaucoup d’admiration, comme « l’Homère de l’école bouffonne ».
Gautier, lui, se revendiquait de l’école romantique et sa présence à la première d’Hernani de Victor Hugo le 25 février 1830 fut très remarquée (ainsi que le gilet rouge qu’il arborait ce soir-là). Théâtre donc, avec une mémorable bataille comme on les aime à 19 ans.
Et Le Capitaine Fracasse (publié en 1863) associera fort bien le théâtre et les batailles.
Le Baron de Sigognac vit à l’époque de Louis XIII, en Gascogne, dans un château délabré quand passe une troupe de comédiens. Parmi eux, la belle Isabelle qui le persuade de les accompagner jusqu’à Paris où il pourrait faire fortune. « Ce n'était pas déroger que de suivre une comédienne par amour et de s'atteler comme soupirant au chariot comique ; les plus fins cavaliers ne s'en fussent pas fait scrupule. » Et les voilà partis. Un jour de neige, Matamore meurt de froid et Gautier rappelle que les comédiens n’ont pas droit au cimetière. « A nous autres histrions, l'Eglise marâtre nous ferme l'huis du cimetière, et nous refuse cette douceur de dormir en terre sainte. Il nous faut aller pourrir aux gémonies comme chiens crevés ou chevaux morts, après avoir en notre vie amusé les plus gens de bien. » Le baron de Sigognac remplace alors Matamore et devient comédien dans un chapitre intitulé « Où le roman justifie son titre ». « Je plie mon titre de baron et le mets au fond de mon porte-manteau, comme un vêtement qui n'est plus de mise. Ne me le donnez plus. Nous verrons si, déguisé de la sorte, je serai reconnu par le malheur. Donc je succède à Matamore et prends pour nom de guerre : le capitaine Fracasse ! ». Amoureux de la belle Isabelle, il la défend contre les avances du Duc de Vallombreuse. Bastonnade, duel, enlèvement…Tous les ingrédients du roman de cape et d’épée sont là sans oublier qu’Isabelle se révèle être la sœur de Vallombreuse et que Sigognac trouve un trésor en enterrant son chat au pied d’un amandier. Un roman parodique flamboyant, dans une langue travaillée et foisonnante, cette langue qui avait justifié la dédicace de Baudelaire aux Fleurs du mal : « Au poète impeccable / au parfait magicien ès lettres françaises / à mon très cher et vénéré / maître et ami / Théophile Gautier… »



Cyrano, le bretteur poète

C’est en lisant Les grotesques de Théophile Gautier que vient l’idée à Edmond Rostand de faire revivre Cyrano.
La première de la pièce Cyrano de Bergerac, comédie héroïque, a lieu le 27 décembre 1897 et c’est un des plus grands succès de l’histoire du théâtre. On peut s’interroger sur les raisons d’un tel triomphe à une époque où l’on s’intéresse au théâtre naturaliste et symboliste et où les comédies sont des vaudevilles. La réponse est peut-être dans un contexte historique plus que troublé : la France souffre toujours de la défaite de 1870, c’est le temps des « affaires » et des « ligues », les anarchistes sont pourchassés et depuis le début de l’affaire Dreyfus, les juifs ont mauvaise presse. Le 30 janvier 1898 Zola « accuse » et Rostand est Dreyfusard.
Rien d’étonnant alors à ce que le public et la critique se passionnent pour ce personnage solitaire et rêveur, ne cherchant ni gloire, ni fortune, hostile aux standards sociaux et aux compromissions. Ce que le personnage apporte de nouveau, c’est sa profonde humanité : est-il vraiment laid ? Ou bien se sert-il de son appendice nasal uniquement pour attiser les conflits et provoquer les duels ? En fait le nez de Cyrano est le symbole d’une souffrance profonde, celle de ne pas être aimé, autant de cette société qu’il abhorre que de Roxane, précieuse évaporée qui en est la parfaite illustration. Alors Cyrano parle avec son épée et sa rhétorique et se fait aimer par procuration en plaçant les mots de son désir et de sa passion dans la bouche de Christian. Roxane ne peut que tomber follement amoureuse de cet homme beau et si plein d’esprit. Mais la mort de Christian au siège d’Arras oblige Cyrano à se murer dans le secret et la mondaine Roxane entre au couvent pour pleurer son amour perdu. Ce n’est que quatorze ans plus tard qu’elle comprend le sacrifice sublime de Cyrano. Mais ce dernier est mourant. Héros rebelle aux règles et à la raison, fuyant la réalité pour se réfugier dans la lune ou la poésie, Cyrano est un raté magnifique qui ne peut que nous toucher.

Patricia Chatel 



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« Monsieur, voulez-vous me permettre ?… C’est tout à fait très bien, et je crois m’y connaître ; J’ai du reste exprimé ma joie en trépignant !... – Comment s’appelle donc ce monsieur ? – D’Artagnan. »
Paul Féval fils a sans doute vu la pièce et c’est peut-être ce qui l’a décidé à entreprendre un cycle romanesque mettant en scène les deux bretteurs. Il publie d’abord en 1925 D’Artagnan contre Cyrano et trois ans plus tard D’Artagnan et Cyrano réconciliés, l’ensemble représentant sept romans. Dans le premier cycle où l’on retrouve les personnages des Trois mousquetaires, D’Artagnan, amer d’avoir été oublié par ceux qu’il a servis, est désormais l’homme du cardinal de Mazarin tandis que Cyrano défend le fruit des amours d’Anne d’Autriche et du Duc de Buckingham. Dans le second, qui se situe après Vingt ans après, D’Artagnan tombe amoureux de la sœur de Roxane et leur union est consacrée par Aramis devenu l’abbé d’Herblay. S’ensuit une série d’aventures particulièrement fantaisistes dans « les États barbaresques».

Paul Féval fils,
D’Artagnan et Cyrano
,
Omnibus,
ouvrage commenté par Claude Aziza comprenant l’intégral de la série.